Un regard scientifique et thérapeutique sur l’un des acteurs les plus puissants (et invisibles) de votre quotidien.
L’inconscient : votre système d’exploitation caché
Lorsque vous vous surprenez à dire ou faire quelque chose à l’opposé de vos intentions conscientes, il est courant de penser : « Je suis irrationnel(le) », ou « Je me sabote ». En réalité, ce n’est pas de l’irrationalité — c’est une autre forme de logique qui s’exprime : celle de l’inconscient.
En neurosciences, on sait aujourd’hui que le cerveau humain ne voit pas la réalité telle qu’elle est, mais reconstruit une version du monde à partir des expériences passées, des émotions enregistrées et des croyances déjà en place. C’est ce qu’on résume par : « le cerveau n’a pas d’yeux ».
Chaque information sensorielle (ce que vous entendez, voyez, ressentez) est d’abord filtrée, interprétée, catégorisée par des structures profondes — notamment l’amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal — avant même que vous en soyez conscient(e). Résultat : vous ne réagissez pas à ce qui se passe dehors… mais à ce que votre cerveau croit qui est en train de se passer.
Par exemple : vous entrez dans une réunion. Objectivement, personne ne vous attaque. Mais votre cœur s’emballe, vos muscles se tendent. Pourquoi ? Parce que votre inconscient a perçu un ton de voix, un silence, une posture comme un signal de danger — en se basant sur une mémoire ancienne. Peut-être que, petit(e), une figure d’autorité vous a souvent rabaissé(e) dans ce type de contexte. Votre cerveau rejoue alors ce scénario… non pas pour vous nuire, mais pour vous protéger.
L’inconscient agit donc en aveugle, mais pas sans logique. Il se fonde sur une carte intérieure du monde, construite parfois il y a très longtemps, et agit pour maintenir votre sécurité émotionnelle, même si cela vous freine dans le présent.
Ce n’est ni une erreur, ni une faiblesse : c’est un système de régulation archaïque et puissant, qui a simplement besoin d’être mis à jour.
Les schémas inconscients : quand le passé pilote le présent
Un schéma inconscient est comme une application émotionnelle qui tourne en arrière-plan. Il s’agit d’un ensemble de réactions, d’interprétations et de comportements appris très tôt — souvent avant 7 ans — et qui s’activent ensuite de manière automatique, parfois pour toute une vie.
Les neurosciences cognitives révèlent que plus de 80 % de nos comportements quotidiens sont gérés de manière inconsciente (Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie). De plus, 95 % de nos pensées et décisions sont également influencées par des processus inconscients (Zaltman, Harvard Business School).
Cela signifie que la majorité de ce que vous faites chaque jour — parler, conduire, vous habiller, réagir à quelqu’un, faire des choix — ne passe pas par une réflexion consciente, mais par des mécanismes automatiques activés à grande vitesse. Ces mécanismes sont rapides, efficaces… mais aussi très anciens dans leur programmation.
Prenons un exemple : une personne qui, enfant, n’a reçu de l’attention que lorsqu’elle était en difficulté peut, adulte, reproduire inconsciemment des situations de crise, simplement pour ressentir cette même forme d’attention. Ce comportement peut paraître illogique — il est, en réalité, cohérent avec un schéma appris.
Un autre : un enfant ayant été surprotégé peut développer un schéma de peur de l’inconnu. Adulte, il évite le changement, les prises de risque, même quand cela freine ses projets de vie. Ce n’est pas de la paresse : c’est un programme inconscient de protection qui s’exécute.
Ce que les neurosciences nous montrent, c’est que le cerveau cherche avant tout la sécurité, pas la vérité. Et pour l’inconscient, la sécurité se trouve souvent… dans ce qui est familier.
Le travail thérapeutique, notamment en hypnose, consiste à interrompre ces automatismes, à ramener de la conscience dans ce qui était aveugle, et à installer de nouvelles réponses mieux adaptées à la réalité actuelle.
La résistance : ce n’est pas de la mauvaise volonté, c’est un mécanisme de survie
Lorsqu’une personne dit : « Je veux changer, mais je n’y arrive pas », il est tentant de croire que c’est un manque de motivation ou de volonté. En réalité, ce que l’on appelle résistance en thérapie n’est pas un refus de changement, mais un mécanisme protecteur profondément enraciné dans le cerveau émotionnel.
Selon les neurosciences, les structures impliquées dans les réponses émotionnelles — comme l’amygdale et le striatum — sont conçues pour prioriser la sécurité émotionnelle, parfois au détriment du progrès ou du bonheur conscient. Si une action, un souvenir ou une émotion est associée à un risque de souffrance, le cerveau inconscient met en place un système d’évitement.
C’est ce qu’on appelle en hypnose ou en thérapie brève : la résistance. Et loin d’être un frein irrationnel, c’est une forme d’intelligence protectrice, qui agit comme un garde du corps intérieur. Elle empêche d’ouvrir des portes tant qu’il n’y a pas une garantie de sécurité émotionnelle.
Exemples fréquents de résistance :
- Vous avez envie d’aller à une séance thérapeutique, mais vous l’oubliez, tombez malade ou avez une urgence.
- Vous vous lancez dans un projet important, puis perdez toute motivation sans raison apparente.
- Vous commencez à parler d’un sujet intime… et changez de sujet sans le vouloir.
- Vous vous mettez en colère ou devenez ironique dès qu’on touche un point sensible.
Ces comportements ne sont pas des erreurs. Ils sont des signaux protecteurs, activés par un système inconscient qui anticipe une douleur émotionnelle, souvent en lien avec une mémoire ancienne.
Rossi & Erickson, deux figures majeures de l’hypnose moderne, ont montré que plus une personne résiste en séance, plus cela indique que l’on s’approche d’un point clé de transformation. La résistance, en ce sens, est un indicateur, pas un obstacle.
La clé, ce n’est donc pas de forcer ou de contourner la résistance, mais de l’écouter, de la respecter, et de l’aider à se sentir en sécurité. C’est ce qu’offre l’approche hypnotique : un espace où l’inconscient peut relâcher ses protections à son rythme, et ouvrir la porte à un véritable changement.
Comment repérer que c’est l’inconscient qui agit (et non votre volonté)
« Je ne comprends pas pourquoi j’ai réagi comme ça… » — cette phrase, vous l’avez peut-être déjà prononcée. C’est souvent un signe clair que ce n’est pas votre partie rationnelle qui était aux commandes, mais bien votre inconscient.
Rappelons-le : votre cerveau traite environ 11 millions d’informations par seconde, mais votre conscience n’en capte que 40 à 60. Cela signifie que la majeure partie de vos décisions, émotions, réactions, se prennent en dehors du champ de votre volonté.
Voici quelques signes concrets qui indiquent que l’inconscient est en action :
- Les émotions disproportionnées
Vous pleurez devant une remarque anodine, vous explosez de colère pour une broutille, ou vous êtes paralysé(e) de peur face à une situation objectivement neutre. Ces réactions sont des échos émotionnels, de vous plus jeune, ayant vécu des expériences passées non digérées, encore actif à l’intérieur
Exemple : un collègue vous interrompt en réunion, et vous ressentez une humiliation intense. Ce n’est pas la scène présente qui déclenche cette réaction, mais une mémoire ancienne, souvent inconsciente.
- Les comportements répétitifs
Vous retombez toujours dans le même type de relation toxique, vous évitez systématiquement les situations où vous pourriez réussir, ou vous procrastinez dès qu’un projet vous tient à cœur. Ces actes ne sont pas des choix conscients : ce sont des programmes inconscients qui se rejouent.
Ce qu’on croit être une faiblesse ou un défaut est souvent un programme inconscient d’auto-protectionhérité du passé qui s’exécute.
- Le corps qui parle
Tensions musculaires, douleurs inexpliquées, gorge nouée, maux de ventre avant un événement… Quand la parole est censurée ou trop risquée, le corps devient le messager de l’inconscient.
La psychosomatique montre que le corps exprime ce que le psychisme ne peut (ou ne veut) pas encore formuler consciemment.
- Les oublis, lapsus, retards
Vous oubliez une date importante, arrivez en retard à une réunion clé, ou dites « papa » au lieu de « patron » … Ces petits dérapages du quotidien sont souvent très signifiants. Ils révèlent un conflit intérieur, une vérité cachée, ou une tension entre deux parties de vous, qui sont parfois des actes porteurs de sens, inconscient.
- Les « coïncidences étranges » ou synchronicités
- Vous tombez « par hasard » sur une phrase, une personne ou un événement qui fait écho à un conflit intérieur.
Carl Jung parlait de synchronicités : ces événements qui révèlent une logique de l’inconscient au-delà du rationnel.
- Les rêves
Des recherches en neuropsychologie montrent que les zones activées pendant le rêve sont les mêmes que celles liées à l’émotion et à la mémoire profonde (amygdale, hippocampe).
- Symboliques, bizarres, émotionnellement chargés.
- Miroir direct de l’inconscient : peurs, désirs, conflits, souvenirs non digérés.
Même si vous ne vous en souvenez pas, vous rêvez 4 à 6 fois par nuit. Et Ne pas se souvenir de ses rêves est souvent une stratégie de refoulement. Cela ne veut pas dire qu’on ne rêve pas, mais que l’inconscient garde les informations pour lui.
De la lutte au dialogue : comment travailler avec l’inconscient plutôt que contre lui
Beaucoup de personnes abordent leur inconscient comme un adversaire : il faudrait le contrôler, le « reprogrammer », le faire taire. Cette approche crée une lutte intérieure… qui ne fait que renforcer les résistances. Car l’inconscient, comme nous l’avons vu, ne cherche pas à nuire — il cherche à protéger.
L’approche moderne de l’hypnose, inspirée par Milton Erickson, repose sur une idée simple mais révolutionnaire : l’inconscient est un allié. Il dispose de ressources, de souvenirs, d’intuitions… que vous ne connaissez peut-être pas encore consciemment. Et il peut devenir un véritable partenaire de transformation — à condition qu’on apprenne à lui parler dans sa propre langue.
Que signifie « parler la langue de l’inconscient » ?
- C’est utiliser des images, des métaphores, des sensations plutôt que des raisonnements logiques.
- C’est passer par l’état modifié de conscience qu’induit l’hypnose, pour accéder aux couches profondes de mémoire et d’émotion.
- C’est créer un climat de sécurité et de confiance qui permet au système de défense inconscient de se relâcher.
En hypnose, on n’impose rien. On invite, on suggère, on explore. C’est une forme de négociation douce avec cette part invisible de soi qui, souvent, détient les clés du changement.
Ce que permet le dialogue avec l’inconscient :
- Libérer des schémas de sabotage ou de souffrance devenus obsolètes.
- Réinterpréter des souvenirs anciens à la lumière de vos ressources actuelles.
- Installer de nouvelles façons de réagir, de penser, d’interagir — alignées avec qui vous êtes aujourd’hui.
En fin de compte, travailler avec son inconscient, c’est renouer avec soi-même dans toute sa profondeur. C’est passer d’un mode de pilotage automatique, hérité et défensif, à un mode de présence active, créatif et aligné.
Ce n’est pas de la magie. C’est un processus. Mais un processus profondément humain, et aujourd’hui soutenu par les apports des neurosciences, de la psychologie intégrative et de l’hypnose thérapeutique.
Sources :
- Zaltman, G. (2002). How Customers Think: Essential Insights into the Mind of the Market. Harvard Business School Press.
- Kahneman, D. (2011). Thinking, Fast and Slow. Farrar, Straus and Giroux.
- NPR Science. (2020). Understanding Unconscious Bias (Podcast + article).
- Felitti, V. J. et al. (1998). Relationship of childhood abuse and household dysfunction to many of the leading causes of death in adults: The Adverse Childhood Experiences (ACE) Study.
- Bénichou, C. et al. (2021). The impact of childhood trauma on children’s wellbeing and adult behavior. Journal of Pediatric Psychology.
- Cleveland Clinic. (2022). Psychosomatic Disorder: What It Is, Symptoms & Treatment.
- Rossi, E., & Erickson, M. H. (2008). The Collected Papers of Milton H. Erickson on Hypnosis. Phoenix: Milton H. Erickson Foundation Press.
- Healthline. (2022). How Long Do Dreams Last?
- Winston Medical Center. Sleep and Dreaming Facts.
- Kim, J., et al. (2022). Analysis of Psychosomatic Disorders According to Age and Sex. Journal of Korean Medical Science.
- Spiegel, D. et al. (2016). Brain activity and functional connectivity associated with hypnosis. Cerebral Cortex.